COP15 : la haie, une "solution fondée sur la nature"
Contrairement aux affirmations fréquentes dans le milieu agricole, les haies ne favorisent pas la dispersion des "mauvaises herbes" mais au contraire les régulent. Ces travaux de l’INRAE démontrent que ces alignements de ligneux peuvent constituer une efficace solution de protection des cultures "fondée sur la nature".
Des milliers de rapports, des expérimentations concluantes, des préconisations portées désormais par les plus hautes instances scientifiques et techniques : les "solutions fondées sur la nature" constituent l’un des sujets phares de la COP15 qui se déroule à Montréal (Canada) jusqu’au 19 décembre. En marge des négociations pour construire le cadre juridique de l’action des Etats pour stopper l’érosion de la biodiversité, les agronomes, écologues, hydrologues confrontent leurs expériences sur ces solutions qui utilisent les services rendus par la nature, comme par exemple les réhabilitations de zones humides servant à "tamponner" les crues, plus efficaces que les digues de protection, lesquelles sont onéreuses et gourmandes en matériaux.
C’est dans ce cadre que vient de paraître les très intéressants travaux des scientifiques de l’Institut national de recherche sur l’agriculture et l’environnement (INRAE), de l’université de Rennes, du CNRS et de l’ANSES dans Journal of Applied Ecology. Les haies sont les amies de l’agriculture !
Ces conclusions bouleversent des décennies de certitudes profondément ancrées chez des générations d’agriculteurs. Pour nombre d’entre eux, les haies sont des réservoirs d’adventices (le nom donné à ces plantes sauvages non désirées dans les champs cultivés) et d’insectes ravageurs de leurs récoltes.
A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, la "révolution verte" de modernisation de l’agriculture, avec l’arrivée des tracteurs, des engrais chimiques et des pesticides, a eu pour effet collatéral l’arrachage de ces alignements arborés qui gênaient par ailleurs la circulation des machines agricoles.
En France, entre la fin des années 1960 et les années 1980, 600 000 kilomètres de haies ont été détruites, soit la moitié du linéaire total. Un phénomène général : en Belgique, 75% ont disparu, en Italie, la moitié sur la seule plaine du Pô, en Hollande de 30 à 50%, en Angleterre plus de 50%. En France, le rythme de 45 000 kilomètres par an d’éradication est passé à 15 000 kilomètres dans les années 1990 pour connaître une relative stabilisation depuis.
Selon l’enquête Terruti-Lucas en effet, les haies ont continué de reculer de 8000 hectares entre 2012 et 2014 (une actualisation par l’IGN est en cours) et les bosquets, arbres épars et vergers sont toujours arrachés aujourd’hui. En conséquence, le nombre d’espèces d’adventices favorables à la biodiversité a diminué de 67% ces trente dernières années.
Mais est-on bien sûr que les haies diffusent maladies et mauvaises herbes ?
"Les adventices sont en réalité adaptées aux perturbations agricoles, et prolifèrent donc dans les champs cultivés, corrige Sébastien Boinot, chercheur à l’unité de recherche Biodiversité agroécologie et aménagement du paysage (INRAE) et coauteur de l’étude. En revanche, les adventices sont moins aptes à se développer dans des habitats plus stables tels que les haies, où s’établit une végétation plus pérenne." Il est donc peu vraisemblable que les haies constituent une source de prolifération des plantes non désirées, du moment qu’elles sont bien protégées des perturbations agricoles.
Par ailleurs, par leur influence sur le microclimat, les flux d’eau et de nutriments, les haies contribuent à augmenter l’hétérogénéité environnementale — gage de biodiversité — au sein des champs cultivés. Des études précédentes ont ainsi montré qu’une flore adventice diversifiée constitue un avantage pour les systèmes agricoles, en offrant des habitats et des ressources aux prédateurs des insectes ravageurs des cultures et en limitant la prédominance d’espèces végétales qui survivent mieux voire ont développé des résistances aux herbicides.
Mais au-delà de ces travaux théoriques, que se passe-t-il dans le bocage ?
Pour le savoir, les chercheurs ont chaussé les bottes et effectué des relevés de plantes dans 74 champs cultivés situés dans des contextes paysagers différents — depuis des paysages ouverts jusqu’aux paysages bocagers comportant un réseau dense et complexe de haies, dans le sud du département de l’Ille-et-Vilaine, en prenant soin de distinguer, parmi les cultures, le bio du conventionnel. En caractérisant les préférences écologiques des plantes et leur association aux habitats cultivés et semi-naturels, ils ont pu tester les hypothèses de dispersion depuis les haies.
"Nous avons ainsi démontré que les champs situés dans les paysages bocagers abritent une flore adventice plus diversifiée mais pas plus abondante, et ce indépendamment du mode de production conventionnel ou bio", expose Sébastien Boinot.
Il s'agit d'un résultat important car les agriculteurs font face à un sérieux défi. Aujourd’hui, 266 espèces adventices ont développé des résistances aux herbicides dans le monde, ce qui montre que l’usage d’herbicide n’est pas une solution durable, sans compter son impact néfaste sur la santé des humains et des écosystèmes.
Les adventices résistantes se propagent d’autant mieux que les plantes qui leur font habituellement concurrence sont, elles, éradiquées par les traitements chimiques. En France, il existe 25 espèces adventices résistantes aux herbicides, certaines envahissant aujourd’hui des régions agricoles très vastes. Ainsi du vulpin (Alopecurus myosuroides) et du ray-grass (Lolium sp.). Ces plantes entrent en compétition avec les cultures pour la lumière, l’eau et les nutriments. Et les agriculteurs sont aujourd’hui sans solutions puisque les herbicides sont devenus inefficaces.
"Dans un contexte de mutation forte de l’agriculture vers une gestion plus durable des ressources naturelles, moins dépendante de l’utilisation d’intrants chimiques, il devient urgent d’identifier des leviers qui optimisent le compromis entre le maintien d’une flore adventice diversifiée et des services associés comme le contrôle biologique des ravageurs et la pollinisation, et enfin le contrôle de cette flore adventice au sein des agroécosystèmes, afin de limiter les pertes de rendement", plaide Sébastien Boinot.
La destruction des haies lors des dernières décennies avait déjà montré des effets pervers. Les inondations ne sont plus contrôlées par ces barrières naturelles, les sols des grandes parcelles sont érodés par les pluies, provoquant parfois des marées de boue, et l’intensification des récoltes sur ces grandes surfaces génèrent de grandes quantités de CO2, notamment par le labour profond. Sur la colonne "crédit" des haies bocagères, s’ajoute désormais un effet bénéfique — d’un point de vue agronomique et écologique — sur les adventices.
L’une des cibles discutées à la COP 15 concerne justement l’usage des pesticides. Leurs effets délétères sur la biodiversité sont largement documentés, aussi les 195 Etats signataires de la Convention sur la diversité biologique doivent décider d’une diminution de moitié (voire des deux tiers pour les plus ambitieux) d’ici à 2030 des trois millions de tonnes de phytosanitaires utilisées tous les ans dans le monde. Un objectif partagé par le plan "de la ferme à la fourchette" que l’Union européenne vient d’adopter.
L’Europe, l’Amérique du Nord, la Chine ont ainsi sous la main une solution simple "fondée sur la nature" pour lutter contre les "mauvaises herbes". Et la bonne méthode pour reconquérir la beauté ancienne de leurs paysages.