Réchauffement climatique : comment s'adapter aux fortes chaleurs ?
D'ici à 2050, la fréquence des canicules devrait doubler, soumettant nos organismes à un stress thermique de plus en plus intense. Faute de parvenir à limiter les émissions de gaz à effet de serre, il va donc falloir s'adapter à cette hausse des thermomètres. C'est possible mais pas facile.
Au coeur du désert du Néfoud, Sarah a dû apprendre à gérer ses efforts physiques… et son humeur. « Quand il fait si chaud, tout effort physique est beaucoup plus difficile à réaliser. Le corps est sans cesse en train d'essayer de s'adapter, ce qui nous prend beaucoup d'énergie. C'est de l'énergie dont on ne dispose pas pour être plus tolérant vis-à-vis de comportements qui, dans la vie de tous les jours, nous paraissent anodins. On devient très irritable ! », relate cette fonctionnaire de 35 ans, une semaine après son retour. Sarah fait partie des dix-neuf personnes qui ont expérimenté, aux côtés de l'explorateur-chercheur Christian Clot, trois climats extrêmes (la forêt équatoriale de Guyane, la Laponie septentrionale et le désert d'Arabie saoudite), à chaque fois pendant quarante jours.
« Ce sont des personnes novices, vivant habituellement en milieu tempéré, que nous avons plongées dans des climats fortement possibles dans le futur, notamment pour ce qui est du chaud humide et du chaud sec », relate Christian Clot, qui dirige la mission Deep Climate. « Nous avons étudié à la fois la physiologie, la cognition et l'organisation sociale du groupe avec les outils scientifiques les plus poussés qui existent aujourd'hui, pour comprendre quels sont les mécanismes adaptatifs. Nous sommes les premiers à réaliser ce type d'études complètes en situation réelle, qui sont pourtant essentielles pour comprendre de manière profonde les impacts des conditions climatiques extrêmes sur la santé humaine et l'organisation des sociétés. »
Nous le savons, nous l'expérimentons : notre monde se réchauffe . Les huit dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées. L'été dernier, la France a connu 3 vagues de chaleur et 33 jours de canicule au total. Du jamais-vu.
Et d'ici 2050, la fréquence des canicules devrait doubler , soumettant nos organismes à un stress thermique de plus en plus intense. « Quand la température extérieure augmente, la thermorégulation, à savoir le maintien de la température interne, demande beaucoup d'efforts à notre corps. Nous l'avons bien perçu pendant les premiers jours dans le désert : nos températures centrales, mesurées grâce à des petites gélules que nous avalions, pouvaient dépasser les 40 °C en activité et étaient en permanence au-dessus de 37 °C au repos. Le rythme cardiaque augmente, le débit sanguin aussi et cela crée de la fatigue », témoigne Christian Clot.
Afin d'éviter que sa température interne monte au-delà des 42° - ce qui est mortel -, l'être humain est équipé de deux mécanismes : la vasodilatation et l'évapotranspiration.
Le premier consiste à rediriger plus de sang vers la peau afin de perdre de la chaleur, la peau étant plus fraîche que l'intérieur de notre corps. Mais cela devient inefficace lorsque la température extérieure dépasse celle de l'épiderme.
Le deuxième mécanisme, le plus important, consiste à transpirer et évaporer la sueur. « Là, il faut faire un tout petit peu de physique, prévient la colonelle Alexandra (1), médecin en chef à l'Institut de recherche biomédicale des armées (Irba). Ce n'est pas la sudation qui permet d'évacuer la chaleur, c'est le fait d'évaporer cette sueur. On perd de l'énergie via le passage de l'état liquide à l'état gazeux. »
Plus l'air est humide, plus il est difficile d'évaporer la sueur. « Quand nous sommes arrivés en Guyane, j'ai eu l'impression d'être plongée dans un four micro-ondes géant ! Je n'avais jamais connu ça auparavant. Le plus dur a été l'absence de confort, le fait de ne jamais être au sec », raconte Sarah.
« C'est vraiment le mix entre la température et l'humidité qui crée les conditions d'un stress thermique plus ou moins important », explique Gilles Roussey, docteur en physiologie de l'exercice. Même s'il y a aussi d'autres variables : le rayonnement solaire, le vent, le type d'activité effectuée ou encore la tenue vestimentaire. Il existe un indice, le WBGT (Wet-Bulb Globe Temperature), qui prend en compte à la fois la température, le taux d'humidité et les radiations solaires.
Quand la « température humide » excède les 35 °C, l'évaporation de la sueur ne se fait plus et la survie n'est que de quelques heures. Cela explique pourquoi certains endroits de la planète risquent de devenir inhabitables (voir encadré). La chaleur très sèche sera aussi « un énorme défi pour nos sociétés », prévient Christian Clot.
« En deçà de 20 % d'humidité, il y a un déficit d'eau à la fois dans le corps et dans l'environnement. De plus, au-delà de 45 °C, l'activité devient quasiment impossible. Dans le désert, nous devions nous arrêter de marcher à 9 h 30, maximum 10 heures, et nous ne pouvions rien faire jusqu'à 17 heures », rapporte l'explorateur.
En raison du changement climatique, 9 % de la population mondiale (environ 600 millions de personnes) vivent déjà hors de la « niche climatique » idéale pour l'être humain et le développement des sociétés. Si la trajectoire actuelle se poursuit, un réchauffement de 2,7 °C d'ici à la fin du siècle pousserait environ un tiers de la population mondiale (entre 22 % et 39 %) hors de cette niche, les exposant à des températures dangereuses (plus de 29 °C en moyenne annuelle).
D'après une étude publiée dans « Nature Sustainability » fin mai (« Quantifying the human cost of global warming »). Les pays les plus affectés seraient l'Inde, le Nigeria et l'Indonésie. Les températures élevées peuvent réduire la productivité du travail et les performances cognitives, augmenter la mortalité, accroître les conflits et les migrations vers des zones plus tempérées, préviennent les auteurs de cette étude.
Il reste difficile d'établir des limites absolues car nous ne sommes pas tous égaux devant la chaleur. Au-delà des différences physiologiques d'ordre génétique, certaines populations sont plus à risque, notamment les jeunes enfants, les personnes âgées et les personnes atteintes de maladies chroniques. « Chez le sujet âgé, les réponses physiologiques au stress thermique sont moins performantes », indique ainsi la médecin en chef Alexandra. Sans compter une moindre perception de la soif, alors qu'une bonne hydratation est nécessaire pour maintenir la transpiration.
Pour autant, « les études de santé publique à l'échelle des populations montrent que la température accroît le risque de mortalité dans toutes les classes d'âges », rappelle Rémy Slama, épidémiologiste environnemental et directeur de recherche à l'Inserm. La relation températures-mortalité dessine une courbe en forme de « U », la mortalité augmentant dès que l'on s'éloigne de l'optimum , autour de 20-22 °C dans un pays comme la France. « La protection des populations ne doit donc pas se limiter aux journées de canicule », insiste ce chercheur.
Alors que les journées où le mercure montera au-delà de ce seuil des 20-22 °C seront de plus en plus nombreuses, serons-nous capables de nous adapter ? Ce sujet a tout d'abord intéressé le monde du travail, puis les armées et, plus tard, le sport.
En France, « le monde sportif s'intéresse à l'adaptation à la chaleur depuis les Jeux Olympiques d'été à Pékin, en 2008. Les athlètes sont aujourd'hui habitués à réaliser un travail d'acclimatation dans des caissons spéciaux lorsqu'ils préparent une compétition qui se déroulera dans un environnement chaud », rapporte Gilles Roussey, dont la thèse a porté sur ce sujet. Car oui, il est possible de s'adapter à la chaleur - dans une certaine limite.
Le CREPS de Montpellier, l'un des dix-sept centres du réseau national du sport de haut niveau, s'est justement doté, il y a quatre ans, de l'une de ces salles d'acclimatation à la chaleur. D'une superficie d'environ 12 m2, elle permet de recréer un environnement chaud et éventuellement humide. « On peut monter jusqu'à 50 °C, mais les stages d'acclimatation se font généralement autour de 35-38 °C avec une humidité comprise entre 30 % et 55 %, soit une chaleur plutôt sèche », explique Jonathan Rubio, en deuxième année de thèse à l'université de Montpellier.
Le protocole classique est le suivant : les athlètes font des séances d'entraînement d'une heure à une heure et demie dans le caisson, maximum une fois par jour, et ce pendant deux semaines. « Au bout de sept jours, la plupart des adaptations commencent à se mettre en place et, au bout de deux semaines, la majorité des athlètes est acclimatée », assure le chercheur.
C'est pareil dans la vie de tous les jours : nous mettons environ deux semaines à nous acclimater à la chaleur (si on y est réellement exposé). « Le plus dangereux, ce sont les premières chaleurs, parce que le corps n'est pas encore adapté », martèle Jonathan Rubio. Il est donc essentiel de laisser le temps à son organisme de s'habituer et d'être prudent pendant cette période de transition en aménageant ses activités, notamment sportives. C'est la première stratégie de protection.
Au terme de ce laps de temps, les ajustements suivants sont en place : légère baisse de la température profonde au repos, plus grande production de sueur, augmentation du volume plasmatique (qui produit la sueur), augmentation de la capacité de réabsorption du sodium par les glandes sudoripares, liste la colonelle Alexandra. Ces adaptations disparaissent généralement au bout de quelques semaines, bien que des observations sur des militaires et des études israéliennes sur des modèles animaux suggèrent des potentielles modifications épigénétiques après des périodes prolongées d'exposition à la chaleur .
Quoi qu'il en soit, cette adaptation a un coût. « Tant la sudation que la vasodilatation augmentent le travail de notre coeur. C'est un véritable stress pour notre système cardiovasculaire », souligne la militaire. Les températures élevées ne sont par ailleurs pas propices à la récupération, notamment la nuit, où notre température corporelle est plus basse (autour de 36 °C). « Cela peut favoriser une moindre récupération des fonctions physiologiques vitales, dont le système immunitaire, une diminution des fonctions cognitives et du bien-être, et l'apparition d'un état de fatigue chronique », indique Gilles Roussey.
Lors de ses expéditions expérimentales, Christian Clot a pu observer la dimension psychologique de l'adaptation, pour l'instant sous-estimée. « Il y avait une grande différence entre ceux qui luttaient contre la chaleur et ceux qui l'acceptaient. Ces derniers s'adaptaient beaucoup plus vite et trouvaient plus rapidement les gestes nécessaires », rapporte-t-il.
Une deuxième stratégie de protection consiste à travailler son endurance. « La régularité de l'entraînement aérobie est l'un des facteurs déterminants de tolérance à la chaleur », assure la colonelle Alexandra. En effet, ce type d'exercice - marche rapide, vélo, natation, ski de fond… - fait monter la température corporelle, déclenche la sudation et entraîne le système cardiovasculaire, de façon très similaire à ce qui se passe lorsqu'on est exposé à la chaleur. « Chaque séance de pratique est comme une mini-exposition à la chaleur », résume-t-elle.
De façon plus générale, la sédentarité, que l'on sait très néfaste pour la santé, l'est également pour notre acclimatation à la chaleur. En effet, « elle déshabitue complètement notre organisme au stress. Or celui-ci est bénéfique lorsqu'il est ponctuel car il crée des adaptations physiologiques nécessaires pour affronter la prochaine situation génératrice de stress », souligne Gilles Roussey.
Il est également essentiel de maintenir une bonne hydratation. « La recommandation journalière classique d'apport hydrique est de 33 ml par kilo de poids de corps, ce qui fait environ 1,5 litre pour 50 kg », rappelle Jonathan Rubio. Mais c'est bien plus en cas de forte chaleur. « Il est préférable de boire à température ambiante plutôt que froid, sous peine de 'dérégler' le seuil à partir duquel on perçoit la chaleur », précise Gilles Roussey, qui conseille aussi d'éviter alcool et café, des boissons qui ont tendance à déshydrater.
Pour les sportifs, Jonathan Rubio propose une petite astuce : se peser en sous-vêtements avant et après une séance et, s'il y a une différence de poids, boire l'équivalent de 1,5 fois cette différence au cours des quatre heures suivantes. « Attention toutefois à ne pas boire une trop grande quantité d'eau sans ajout de sel au cours d'un effort de plusieurs heures, sans quoi on risque l'hyponatrémie, une diminution de la concentration plasmatique de sodium », prévient le doctorant. C'est pourquoi, lors d'efforts prolongés, il faut ajouter un peu de sel à l'hydratation pour compenser les pertes en sueur, ainsi qu'un peu de sucre pour apporter de l'énergie.
Enfin, de nombreuses transformations sociétales vont devenir indispensables avec le changement climatique. « Nous n'aurons pas d'autres choix que de revoir nos modes de vie pendant la période estivale », estime Gilles Roussey. Peut-être devrons-nous concentrer nos activités tôt le matin et tard le soir, avec une longue période inactive en milieu de journée, comme les explorateurs de Deep Climate dans le désert du Néfoud ? « C'était la meilleure des solutions pour rendre le stress thermique gérable », assure Sarah.
« Des actions doivent être entreprises à tous les niveaux de la société : par les employeurs pour assurer que les conditions de travail restent acceptables, par les municipalités pour rendre les écoles, les centres de loisirs et les villes plus adaptés aux vagues de chaleur , ou encore par les bailleurs sociaux pour isoler les habitats », liste Rémy Slama. Et de conclure : « c'est probablement beaucoup plus cher et compliqué pour nos sociétés de s'adapter aux grandes chaleurs que de limiter le problème à la source en luttant contre les émissions de gaz à effet de serre. »
(1) Les noms de famille du personnel militaire ne sont pas communiqués.
● Fermer les volets et les fenêtres en journée et les ouvrir le soir pour faire circuler l'air et faire entrer la fraîcheur. Limiter au maximum les émissions de chaleur à l'intérieur (cuisson, four, etc.).
● Utiliser des ventilateurs portables et/ou de plafond pour faire circuler l'air et améliorer le bien-être. Placer une bouteille d'eau congelée ou du linge mouillé devant le ventilateur pour accentuer la sensation de fraîcheur.
● Faire un usage sobre et raisonné de la climatisation, responsable de 5 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur du bâtiment : l'utiliser seulement si la température de la pièce dépasse les 26 °C en respectant un écart maximum de 5 à 6 °C avec l'extérieur pour éviter tout choc thermique.
Source : Guide de l'ADEME, « Comment garder son logement frais en été ? »