"C’est de la folie" : sur Twitter (devenu "X"), la fuite des experts climat face au harcèlement des climatosceptiques

Publié le par Novethic via M.E.

Serge Zaka, Valérie Masson-Delmotte, Magali Reghezza-Zitt... Ces scientifiques de renom, porte-voix de l'expertise climat en France, sont la cible des climatosceptiques sur Twitter. À tel point que le climatologue Christophe Cassou a décidé de suspendre son compte. Depuis le rachat du réseau social par Elon Musk, les barrages ont cédé, la désinformation et la haine en ligne déferlent... et poussent les experts vers la sortie.

Depuis le rachat de Twitter par Elon Musk, les experts climat fuient le réseau social en masse. Akshar Dave sur Unsplash

"On te butera", "Tu es fragile et lâche", "Vous n’êtes jamais fatigué d’être aussi con". Voici un petit extrait des messages que reçoit à la pelle le docteur en agroclimatologie Serge Zaka. L’expert publie plusieurs fois par jour sur son compte Twitter suivi par plus de 80 000 personnes des informations sur le climat. Si le réseau social n’a jamais été un "safe space", un endroit sécurisant en témoigne les nombreux cas de harcèlement, depuis "un mois, c’est de la folie", rapporte à Novethic l’agroclimatologue.

"Je ne pensais pas que ça pouvait atteindre un niveau pareil. Je reçois des insultes racistes, des insultes sur mon physique… Ils n’essayent même plus d’argumenter", explique-t-il. Le "ils" ce sont des comptes, en grande majorité anonymes, et surtout climatosceptiques.

Depuis que le milliardaire Elon Musk a racheté le réseau social fin 2022, ces "haters" ont été relâchés. L’équipe de modération, déjà succincte, a fondu comme peau de chagrin et l’homme d’affaires a retiré Twitter du code de l’Union Européenne contre la désinformation. Si la mise en application du Digital Services Act entend obliger les géants du web à plus de régulation, ce n'est pas vraiment le chemin pris par Twitter. Le 18 août, Elon Musk a ainsi annoncé son souhait de supprimer la possibilité de bloquer un utilisateur. 

Une minorité de climatosceptiques hyperactive 

"Depuis le rachat, c’est la catastrophe", confirme Romain Weber, le météorologue de Lyon Météo, lui-même cible de messages haineux. "Certains me disent que le changement climatique n’existe pas, qu’on colorie les cartes pour faire des la propagande… on est au niveau zéro de l’analyse". Fatigué de subir ces vagues de haine, le climatologue et directeur de recherche au CNRS Christophe Cassou a ainsi décidé de suspendre temporairement son compte Twitter.

"Quand on ne peut pas attaquer le message qui est robuste et établi, on s'en prend aux messagers. C’est ça qui était compliqué et lourd à gérer : de nous faire passer pour malhonnête, corrompu, manipulé dans un esprit complotiste et nauséabond, avec qui il est impossible de discuter", explique le chercheur dans une interview à France 3, pointant une "charge mentale" difficile à porter.

Une des principales caractéristiques des climatosceptiques œuvrant sur Twitter est leur suractivité. C’est ce qu’a montré le chercheur David Chavalaris dans une étude publiée en février dernier et dressant le portait-robot de ces profils. "Depuis cet été en France, on observe un regain d’activité climatosceptique venant d’environ 10 000 comptes qui, en majorité, faisaient partie de la sphère antivax et anti-système d’orientation alt-right pendant la pandémie et dans une moindre portion de mouvances d’extrême droite comme Reconquête", explique-t-il dans le journal du CNRS.

De plus en plus d’experts climat ou de défenseurs de l’environnement ont ainsi quitté Twitter depuis l’arrivée d’Elon Musk. Une étude publiée le 15 août dans la revue Trends in Ecology & Evolution a passé au crible les comptes de 380 000 défenseurs de l’environnement. Depuis la vente de l’oiseau bleu en octobre 2022, près de 50% sont devenus inactifs.

"Je ne leur laisserai pas cette victoire"

Quitter Twitter ou continuer à faire de la pédagogie reste un choix difficile pour les scientifiques. "On échange beaucoup avec les collègues sur ce réseau, c’est compliqué de reconstituer une telle communauté ailleurs", avance la géographe et membre du Haut conseil pour le climat, Magali Reghezza-Zitt qui s’inquiète de l’avenir du réseau. Et l’experte n’est pas isolée. La paléo-climatologue Valérie Masson-Delmotte, ancienne co-présidente du groupe n°1 du GIEC tente de trouver une alternative. "Tout ce que j’aimais sur Twitter, notamment les rencontres fortuites, les échanges de fond, le partage de connaissances, est effacé par les algorithmes et la perte de modération", écrivait-elle dans un tweet le 20 août.

Mastodonte, BlueSky… les alternatives sont nombreuses mais ne remportent pour l’instant pas les suffrages. "J’ai ouvert un compte Facebook hier", indique Serge Zaka, "et j’ai un compte LinkedIn mais sur Twitter on est lu par des journalistes et des politiques, ça n’a pas la même portée". La minorité très visible et suractive arrivera-t-elle à éteindre ces voix si nécessaires au débat public ?

"Je ne leur laisserai pas cette victoire", défend Romain Weber, "Tout le monde est conscient du changement climatique, on le voit avec les températures extrêmes en ce moment. Au fond, ces personnes ont peur, elles sont dans le déni pour se rassurer, mais elles savent très bien ce qui se passe. Il faut être aveugle pour ne pas s’en rendre compte".

Source : https://www.novethic.fr/actualite/environnement/climat/isr-rse/c-est-de-la-folie-sur-twitter-la-fuite-des-experts-climat-face-au-harcelement-des-climatosceptiques-151714.html

Publié dans Climat, Gouvernance

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