Regards sur la région Hauts-de-France : situation, enjeux et défis (partie 3)

Publié le par M.E.

6. Un mode de vie et un environnement conduisant à une santé publique médiocre

Tous les indicateurs de morbidité caractérisant la santé des habitants de la région présentent la caractéristique d'être notablement supérieurs à la moyenne nationale.

Mais tout d'abord, il s'avère nécessaire de prendre le problème sous un angle systémique.

6.1 Les facteurs de construction de la bonne santé tout au long de la vie

Ils existent des facteurs environnementaux, des facteurs liés à l'appartenance de l'individu à une société et des facteurs liés à des pratiques individuelles.

Tous ces facteurs ne sont pas complètement indépendants et interagissent entre eux.

Ci-après un schéma qui montre la complexité, les interactions entre les différents facteurs directs et d'influence agissant sur la construction de la santé tout au long de la vie.

En décrivant cela, nous inscrivons dans une démarche de santé environnementale et aussi de santé intégrative, cruellement absentes, toutes deux, des cursus académiques des professionnels de santé et insuffisamment présentes dans les programmes de recherches en médecine.

Voici un tableau résumant le niveau de prévalence des maladies chroniques pour les hommes et les femmes de 1980 à 2013 en rapport avec la moyenne nationale :

6.2 Comment en est-on arrivé là ?

C'est la conjonction de plusieurs facteurs, une fois de plus.

- Une population fragilisée sur le plan sanitaire à cause simultanément des pollutions résiduelles de l'ère industrielle, des 2 guerres mondiales successives, ayant pollué les terres agricoles et les nappes phréatiques,

- un mode de vie régional encore inadapté : défaut d'exercice physique, nourriture trop riche, addictions (tabac, alcool, drogues, etc.), ... lié à un niveau de revenu encore faible,

- L'alimentation reste en provenance d'une agriculture productiviste utilisant des quantités toujours trop importantes de produits phytosanitaires. L'agriculture bio ne représente que 2,1 % de la surface agricole utilisable de la région. En outre, il faut signaler l'utilisation à des fins de fertilisation de boues issues des stations d'épuration des eaux usées qui contiennent des quantités de métaux lourds bioaccumulables et toxiques pour les êtres vivants et les écosystèmes.

- une pollution atmosphérique dans les grandes villes en particulier très au-dessus des recommandations de l'OMS et provoquant chaque année une surmortalité prématurée de 6 500 morts pour la région Hauts-de-France dont 2 300 pour la métropole lilloise et d'innombrables maladies chroniques : asthmes, BPCO, diabètes, maladies cardiovasculaires, AVC, cancers pulmonaires, maladies neurodégénératives, etc.

6.3 Les sites et sols pollués, un autre triste record

641 sites pollués ou potentiellement pollués d’origine industrielle sont recensés par les pouvoirs publics en région (inventaire BASOL -données fin 2012). Le Nord-Pas-de-Calais, avec environ 14% des sites pollués nationaux, se classe en seconde position après la région Auvergne-Rhône-Alpes.

L’inventaire BASIAS recense 16 800 anciens sites industriels ou de service anciens qui d’après leurs activités pourraient avoir connus des pollutions, soit 6,7% des sites répertoriés à l’échelle nationale.

Les pollutions sont variées et anciennes en région : arsenic, cadmium, cuivre, nickel, plomb, polluants organiques persistants (hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), polychlorobiphényles (PCB), pesticides organochlorés (OCP), dioxines, furanes, etc.)

Les canaux sont depuis longtemps le réceptacle de pollutions historiques (rejets industriels, urbains, agricoles…) et de déchets de toute nature (séquelles de guerre, déchets de ferraille…). Faute de valorisation économiquement soutenable, les sédiments issus du dragage des canaux sont majoritairement déposés sur des terrains de dépôt cartographiés ci-dessus. Certains d’entre eux peuvent ainsi présenter des pollutions.

6.4 L’usine Arcelor-Mittal de Dunkerque, la plus polluante de France

Le problème posé par les rejets atmosphériques de cette seule usine mérite qu’on s’y attarde avec quelques chiffres :

  • 9 600 tonnes / an de dioxyde de soufre (gaz sulfureux)
  • 3 070 tonnes / an de particules fines
  • 650 tonnes / an d’oxydes d’azote

Ces tonnages émis sont impressionnants pour un seul site situé de surcroît à côté de l’agglomération de Dunkerque. Le tonnage annuel de particules fines émis est à lui seul supérieur à celui des rejets de particules de la totalité de l’agglomération lilloise.

Allergies, asthmes, bronchiolites, cancers, les maladies dues à cette pollution sont nombreuses à Dunkerque. Le coût des dommages provoqué par ces rejets aériens très polluants est situé entre 1,2 et 2, 5 milliards d’Euros.

La question est donc, tant pour la désulfuration des rejets aériens, que pour la captation des particules fines des actions que l’industriel doit entreprendre pour diminuer de manière drastique ces rejets toxiques sur de nombreux aspects pour la santé humaine.

6.5 Dans la métropole lilloise, une pollution de l'air problématique

Rappelons que si on se base sur le nombre de journées où la qualité de l'air n'est pas conforme à la directive OMS de 2005, les comptages basés sur les moyennes journalières de la station ATMO de Lille-Fives donnent pour les concentrations en particules fines PM2,5 les chiffres suivants :

2014 : 198 jours/365, 2015 : 197 jours/365, 2016 : 216 jours/365, 2017 : 223 jours/ 365, 2018 : 224 jours/365, 2019 : 167 jours/365.

2 remarques s'imposent à propos de ces décomptes pour l'année 2019 :

  1. Nous sommes astreints à passer sous silence, les journées où les équipements de mesure de la station sont en maintenance ou en panne : 33 jours en 2019, soit 15% de taux d'indisponibilité. C'est en progrès net par rapport à l'année 2018 où les données étaient indisponibles pendant 55 jours (15%).
  2. Nous rappelons que les valeurs de concentration en PM2,5 données par ATMO pour la station de Lille-Fives correspondent à ce que LCSQA appelle la "pollution de fond" et sont donc loin des concentrations réelles des nombreuses rues "canyon" de la ville de Lille. Ces dernières peuvent dont être bien supérieures.

Comment interpréter cette amélioration de la qualité de l'air pour la rentrée 2019 ?

Voici les hypothèses que l'on peut raisonnablement émettre pour expliquer la meilleure qualité de l'air depuis la rentrée 2019 par rapport aux années antérieures :

- Effet dissuasif sur les automobilistes de la limitation à 30km/h au sein de Lille.

- Conditions météorologiques différentes : force et direction du vent, précipitations.

- Glissement modal voiture--> vélo (Il reste néanmoins une énorme marge de progression si on compare Lille à d'autres villes belges, néerlandaises ou allemandes par exemple)

- Diminution légère de la part des véhicules à motorisation Diesel lié au renouvellement du parc.

- Politiques de restriction de la voiture dans des grandes villes voisines (B, NL, D) (Low Emission Zones (LEZ) et obligation d'achat de pastilles pour les automobilistes)

Il faut se souvenir qu'environ 25% de la masse de particules fines PM2,5 produite provient de la ville de métropole elle-même, 50% des flux transfrontaliers, 20% des environs de la métropole lilloise (Source : PM2,5 Atlas of Air Quality, European Environment Agency, 2017).

6.6 Des ratios de mortalité bien supérieurs à la moyenne nationale

Sur une plus longue période de 1980 à 2013, on constate des évolutions notables. C'est ainsi que les décès liés aux maladies de l'appareil circulatoire ont baissé de 64 %, les décès liés aux cancers de 22 % et les autres décès liés aux autres maladies chroniques de 28% environ.

Néanmoins, la crise récente de la pandémie COVID-19 nous a montré que les personnes atteintes d'une ou plusieurs maladies chroniques étaient ceux qui, atteints par le COVID-19, se retrouvaient majoritairement dans les services de réanimation avec de 40 à 50 % de décès en final.

L'espérance de vie dans tous les territoires de la région Hauts-de-France est compris entre 76,7 et 78,7 années pour les hommes et se situe bien au-dessus avec 81 ans environ en Auvergne-Rhône-Alpes et même 82,6 ans dans les Hauts-de-Seine, territoire le plus riche de la région Ile-de-France. Cet écart d'espérance de vie est donc de 4 à 6 années. Signalons que cet écart interrégional est plus faible pour les femmes : il est de l'ordre de 3 années environ.

6.7 Une région vulnérable au changement climatique présent et à venir

Sans être exhaustifs, voici quelques éléments caractéristiques de cette vulnérabilité régionale :

  • Risque de submersion marine et de déplacement du trait de côte.
  • Une densité de population 4 fois supérieure à la moyenne nationale (450 hab/km2 dans le Nord) qui conduit à augmenter le degré de gravité de tout évènement météorologique extrême.
  • Une population fragilisée sur le plan sanitaire à cause simultanément des pollutions résiduelles de l'ère industrielle, des 2 guerres mondiales successives, et d'un mode de vie encore inadapté : défaut d'exercice physique, nourriture trop riche, addictions, ... lié à un niveau de revenu encore faible.
  • Une pollution atmosphérique dans les grandes villes en particulier très au-dessus des recommandations de l'OMS et provoquant chaque année une surmortalité prématurée de 6 500 morts et d'innombrables maladies chroniques.
  • Un territoire plat et une concentration côtière, frontalière de la Flandre Belge, de réacteurs nucléaires vieillissant (plus de 40 ans) et de sites industriels à risques classés Seveso.
  • Des villes majoritairement minérales dépourvus d'espaces verts en superficie suffisante pour absorber la pollution aérienne et simultanément apporter de la fraicheur lors des épisodes caniculaires.
Exemple typique d'un épisode de chaleur : Températures relevées à Lesquin du 22 au 27 juillet 2019. Source : Info-Climat

En conclusion, il y a urgence à agir car une région comme la nôtre sera impactée de plein fouet par le changement climatique. Il faut une rupture radicale dans nos modes de production agricole, d’alimentation, de mobilité et de loisirs, de chauffage, de traitement des déchets, de production industrielle, d'aménagement des villes et des territoires périurbains. Il faut dépolluer nos sols. Trop peu a été accompli à cause d'une passivité et d'une vraie politique avec de vrais moyens financiers.

 Il faut aussi une conversion ou transformation radicale du système de santé. A la médecine ("réparative") de production de soins, il faut impérativement faire une place plus importante à une médecine intégrative axée sur la prévention et l'action sur tous les facteurs de maintien de l'être humain en bonne santé et prenant en compte les facteurs environnementaux (air, eau, sols, alimentation, rayonnements, risques émergents, etc.)

L'Etat, les élus territoriaux doivent prendre toute leur part avec énergie pour conduire et accompagner cette rupture.

à suivre...

M.E.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :