100% d’électricité verte : possible, mais pas gagné

Publié le par J.D.L.E. via M.E.

RTE et l’agence internationale de l’énergie publient un rapport sur la faisabilité technique d’un verdissement total ou massif du système électrique français. Les difficultés sont nombreuses. Et pas toujours là où l’on croit.

Voilà un document qui devrait contenter tout le monde ! Et ce n’est pas simple lorsqu’on évoque, en France, les énergies renouvelables électriques. Ce mercredi 27 janvier, RTE et l’agence internationale de l’énergie (AIE) ont publié un rapport très attendu. Répondant à une commande du ministère de la transition énergétique, il explore, au plan technique, les possibilités d’alimenter tout ou (grande) partie le système électrique français à partir d’énergies renouvelables intermittentes. Un sujet ouvert, en 2015, par l’ADEME. Et plus récemment par des économistes du CIRED.

Le problème qui se pose aux responsables politiques est simple. A supposer que les réacteurs nucléaires non frappés par la loi énergie-climat fonctionnent environ 60 ans, la majorité du parc nucléaire français devra être mis au rebut entre 2030 et 2050. Sachant que la consommation d’électrons devrait augmenter à cette échéance (du fait de l’électrification de certains usages comme les transports), quelles machines succéderont aux réacteurs à eau sous pression conçus dans les années 1960? Sachant que la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit de porter de 109 à 300 TWh/an la production d’électricité verte d’ici à 2030.

deux options

Deux options s’affrontent. A la fois concepteur, constructeur et exploitant de centrales nucléaires, EDF mise sur un bouquet composé d’énergies renouvelables et de «nouveau nucléaire». Le groupe présidé par Jean-Bernard Lévy prévoit de lancer la construction d’une demi douzaine de réacteurs EPR 2, en cours de conception dans les bureaux de sa filiale Framatome. L’éventuel feu vert gouvernemental ne sera pas donné avant 2022, voire 2023.

Porté par de nombreuses organisations écologistes et anti-nucléaires, le scénario 100% renouvelables table sur un remplacement des réacteurs nucléaires par des éoliennes et des centrales photovoltaïques. Inédit à grande échelle, ce programme est-il crédible? C’est l’objet du rapport produit par RTE et l’AIE.

Quelle que soit la voie choisie, les renouvelables ont du répondant. Se basant sur les projections faites par les auteurs de la PPE et de la stratégie nationale bas carbone (SNBC), les rapporteurs estiment à 2.500 TWh le productible annuel potentiel de l’éolien et du solaire: environ 5 fois la consommation annuelle d’électricité française en 2050 !

Jusqu'à 60%

Les problèmes identifiés par les rapporteurs sont ailleurs. A commencer par la stabilité du système électrique. Ce n’est pas nouveau, la stabilité des réseaux interconnectés repose sur les rotors des alternateurs des centrales électriques qui tournent, de manière synchronisée, à la fréquence de 50 Hz, en Europe occidentale. Contrairement aux alternateurs de centrales nucléaires ou thermiques, les éoliennes et fermes solaires sont reliés aux réseaux par des convertisseurs de puissance, lesquels ne contribuent pas à l’inertie et ne peuvent participer à la stabilité de la fréquence. «En deçà de 60% d’énergies renouvelables, le système comporte suffisamment de machines tournantes pour contribuer à la stabilité du réseau, même en cas d’aléas météorologiques. Entre 60 et 80%, il faut mettre en œuvre des systèmes permettant d’ajuster rapidement la fréquence. Au delà de 80%, on manque de références transposables  la France», résume Xavier Piechaczyk, président du directoire de RTE.

Plusieurs solutions existent, comme le déploiement de compensateurs synchrones, sorte de moteurs tournant à vide et sans produire d’électricité, mais fournissant l’inertie nécessaire au maintien de la stabilité du réseau. Autre option: donner aux éoliennes la capacité de produire leur propre onde de tension. Des essais ont été déjà menés, avec succès mais à petite échelle, dans le cadre du programme Migrate.

n'oublions pas les réserves

Malgré les progrès réalisés, ces dernières années, en prévision météorologique, les gestionnaires de réseau d’électricité se révèlent incapables d’assurer une parfaite adéquation entre production et consommation, du fait de la variabilité des productions éolienne et photovoltaïque. Au rythme actuel de développement des parcs éoliens et solaires, le réseau français peut «tenir» jusqu’à 2035. Au-delà, la France devra accroître son parc de stockage (par batterie, pompage-turbinage ou hydrogène). «Il faudra sans doute ajouter de 40 à 60 GW de capacité de stockage»[1], détaille Thomas Veyrenc, directeur stratégie et prospective de RTE. Il faudra aussi développer l’effacement et multiplier les nouvelles lignes et les interconnexions avec les pays voisins. RTE souligne aussi la nécessité de maintenir des centrales de pointe. Aujourd’hui, fortement émettrice de CO2, elles pourraient, demain, turbiner à l’hydrogène.

Pour éviter la chute d’un réseau en cas d’arrêt fortuit de grandes capacités de production ou d’une hausse subite de la consommation, le gestionnaire dispose de capacités de production mobilisables à tout moment. Ces «réserves sont dimensionnées pour couvrir les aléas pouvant affecter la production, la consommation et la capacité de transit sur les lignes électriques», rappellent les rapporteurs. Mais elles ont été un peu oubliées par les prospectivistes de l’énergie.

invisible photovoltaïque

Eoliennes ou photovoltaïques, les centrales renouvelables peuvent être exploitées comme «unités d’équilibrage». Ce qui suppose de modifier la réglementation. Autre impératif pour sécuriser le réseau: affiner les méthodes de prévision de la production des centrales photovoltaïques. Disséminées, celles-ci n’envoient pas de signaux aux gestionnaires de réseau, qui se trouvent de ce fait incapables d’évaluer leur apport au réseau. Gênant si le solaire devient un mode de production important.

Dernier point et non des moindres pointés par les experts de l’AIE et de RTE: les réseaux. Un fort verdissement du parc de production suppose de concentrer les éoliennes où souffle le vent et les parcs solaires là où luit l’astre du jour. En d’autre terme, il faudra développer des lignes de transport entre le nord et le sud et multiplier les points d’interconnexion avec les pays riverains. «Probablement en doubler le nombre actuel», estime Thomas Veyrenc.

tout le monde est content

Rapport d’étape[2], l’étude AIE-RTE satisfait tout le monde. Le Réseau Action Climat s’en félicite puisqu’elle «confirme qu’un mix électrique tendant vers le 100 % renouvelable est techniquement possible.» La ministre de la transition écologique n’est pas moins enthousiaste: «ce rapport constitue un moment copernicien pour le monde de l’énergie. Nous avons désormais la confirmation que tendre vers 100 % d’électricité renouvelable est techniquement possible. C’est une évolution conceptuelle majeure et une révolution pour nos représentations collectives concernant notre mix électrique», indique Barbara Pompili.

Plus discrets, les pro-nucléaires ne sont pas forcément mécontents. Ils notent que le verdissement de la production d’électricité demande des efforts sans commune mesure avec la prorogation de l’option nucléaire. Les réseaux de transport et de distribution devront être renforcés, les interconnexions multipliées. Mobiles (dans les voitures électriques) ou immobiles, les capacités de stockage devront être accrues. «Il faudra mobiliser les industriels de l’automobile et de la construction pour disposer de véhicules et de logements plus intelligents qu’aujourd’hui», indique Thomas Veyrenc.

Les auteurs s’interrogent aussi sur l’acceptabilité sociale de ce nouveau paysage électrique. En France, les projets éoliens font systématiquement l’objet de recours juridiques. Qu’en sera-t-il lorsque toutes les régions verront sortir de terre des panneaux photovoltaïques, des éoliennes, des condensateurs ou des pylônes électriques ?

[1] Qui s’ajouteront aux 25 GW de capacité hydroélectrique.
 
 
 
 

Publié dans Energie, Climat, Nucléaire

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